Hommage à un diseur de vérité : Samba, c’était un vrai “Diarra” !






Le tam tam parleur n’a pas eu besoin d’entonner son chant de deuil. Les griots n’ont pas eu besoin de se promener avec tambours et grelots pour annoncer la nouvelle. Dans la nuit du samedi au dimanche dernier, toute la Côte d’Ivoire a entendu le dernier rugissement du lion. Ce puissant cri qui présage de la fin d’un cycle, la fin d’un monde. Oui, Samba « Diarra », le lion, a fini. Dans la splendeur d’une nuit, il a tiré sa révérence, laissant les lionceaux dans le tourment et le vertige indescriptibles. Depuis quelques jours donc, la vie de Samba Diarra n’est plus datée mais signée à jamais. Comme Victor Hugo, Zola, Sartre, Camus… Harris Memel Foteh, Samba Diarra de la grande lignée du « Lion du Manding » est entré directement dans l’Immortalité, s’installant en première ligne dans le panthéon des figures emblématiques de notre histoire si tumultueuse et jalonnée de parenthèses de sang, de crimes, de malentendus et de complots. A 78 ans, Samba Diarra a rangé définitivement les bistouris, éteint son ordinateur d’où sortaient des textes puissants, à la sémantique chargée de vérité et qui aimait bien le champ lexical de la liberté et de la démocratie qui émaillait l’ensemble de ses discours. Il était quasiment semblable au « Tougnan Tigui », ce « diseur de vérité » si cher à cet autre grand qu’a été l’écrivain Ahmadou Kourouma. Normal, il porte avec harmonie et fière allure son patronyme « Diarra », le lion, qui appelle à des actes de bravoure et de courage. Non pas ces actions de lâcheté et de couardise mais des engagements fermes pour les avancées démocratiques, pour la splendeur de la mère patrie. Assurément, Samba Diarra n’avait point de ressemblance avec le « Kondèn Diarra », ce croque- mitaine, dévorateur d’enfants. Lui était le lion, roi de la jungle, l’animal le plus redouté de la brousse. Dans un monde fonctionnant sur la base de la courtisanerie, de la flagornerie, avec son cortège de missi dominici, c’est un vrai délit que de vouloir exprimer sa différence et d’assumer ses convictions. L’ancien pensionnaire de l’EPP de Treichville, qui comme Samba Diallo de « l’Aventure Ambigüe », qui est « allé apprendre chez les blancs l’art de vaincre sans avoir raison », allait voir de toutes les couleurs sous le règne du parti unique. En 1963, le Professeur de gynécologie obstétrique et Immortel de l’Académie des sciences, des cultures africaines et de la Diaspora (ASCAD) est accusé par l’ancien unique de vouloir attenter à la vie du Président Félix Houphouët Boigny. Avec les Jean Baptiste Mockey, Coffi Gadeau, Jerôme Alloh Batafoé, Anne Marie Raggi, Gris Camille, Lamine Diabaté, Koné Kodjara, Seydou Elimane Diarra, Jean Konan Banny et Ernest Boka, Samba Diarra est arrêté dans le cadre du complot du « chat noir » et jeté sans sommation à la prison d’Assabou près de Yamoussoukro. Après trois années de tortures, le lion réapprend à humer les doux parfums de la liberté, avec les excuses publiques de Félix Houphouët Boigny, qui a reconnu avoir été trompé par le commissaire Goba. Après avoir servi à l’Hôpital de Sassandra, il est professeur de gynécologie obstétrique à l’Université d’Abidjan de 1980 à 1991.

La thérapie de la lutte
contre l’oubli

A la mort de Félix Houphouët Boigny, le Lion Samba ne perd pas pour autant ses convictions. Pour avoir subi le premier président ivoirien, qui a déclaré sans sourciller « avoir frappé le Nord dans ce qu’il a de meilleur », Samba Diarra veille comme le taon, l’éveilleur des consciences, face à une répétition de l’histoire. Sous le règne de Henri Konan Bédié, il lui est refusé l’établissement d’un certificat de nationalité, sous le grossier prétexte qu’il ne serait pas un Ivoirien bon teint. Le bouillant syndicaliste part encore en guerre contre les tenants de la catégorisation des citoyens en « Ivoirien de souche multiséculaire » et en « Ivoiriens de circonstance », ayant « un autre point de chute », selon la belle formule de l’Ambassadeur Pierre Kipré. L’intellectuel de haut rang qui refuse de se taire et de donner dans la compromission, engage le combat contre l’Ivoirité, abjecte et réductrice, au nom du devoir de mémoire et de la lutte contre l’oubli qui peut engendrer une nouvelle tragédie, après les années de braise du parti unique. Conscient que « la fracture s’est aggravée avec l’émergence du concept de l’Ivoirité », le Professeur doublé de l’intellectuel averti produit un ouvrage sur « les faux complots d’Houphouët Boigny, fracture dans le destin d’une nation », paru aux Editions Khartala. Le faisant, Samba Diarra n’envisageait point de donner dans la rancune et la rancœur contre Boigny et le PDCI. Il voulait extérioriser cette période de grande terreur pour porter témoignage aux générations présentes et à venir sur les points noirs de l’ère du parti unique, montrer au grand jour les tortures et injustices subis par des intellectuels qui ont osé exprimer leurs opinions. Par ailleurs, Samba Diarra déclinait avec force argumentation, les dangers qui pourraient à nouveau s’abattre sur la Côte d’Ivoire si la classe politique ne changeait pas sa façon de gouverner. De même qu’il n’a pas du tout été tendre avec Houphouët, de même il n’a pas pris de gants pour dénoncer les travers des régimes successifs. Le lion a-t-il été entendu ? Avec beaucoup d’amertume, il nous signifiait il y a quelques années, son amertume, après la survenue de la guerre fratricide : « si mon message avait été entendu, on n’en serait pas là. Il y a très peu de dirigeants politiques de ce pays que je ne connaisse pas, que je n’ai pas rencontré à une occasion ou une autre, avec qui je n’ai pas échangé ». Samba Diarra ne cache pas son désenchantement face aux dérives du régime Gbagbo qui développait dans l’opposition, des propositions et idées bien généreuses. Dans la dernière interview accordée au Patriote, il vitupérait contre l’actuel Chef de l’Etat qui, à ses yeux, a constitutionnalisé l’Ivoirité. Il résume la tragédie de l’ancien opposant historique par cette image bien parlante du reste : « quand vous portez sur la tête un bagage comprenant plusieurs éléments et qu’à chaque pas que vous faites, un paquet tombe, le mieux, c’est de descendre le bagage, renverser tout ce qu’il contient, mettre tout en bon ordre pour que ça tienne ». Toute la symbolique du discours d’un homme en harmonie avec son peuple et en total désaccord avec les tenants du pouvoir.

C’est donc dans l’attente d’une Côte d’Ivoire nouvelle et foncièrement ancrée dans la démocratie que l’octogénaire, qui a mis plus de 40 ans de sa vie au service de ses concitoyens, après une longue maladie vécue dans la dignité et l’honneur, a tiré sa révérence. En symbiose avec son nom, le doyen Samba a vécu comme un lion, sans peur d’afficher et d’affirmer ses convictions, là où certains aiment à se comporter comme des moutons pour brouter dans tous les parcs. Le Professeur était véritablement en phase avec le combattant de la liberté et de la démocratie. C’est fort de cela que la classe politique dans sa diversité et l’intelligentsia ne finissent pas de lui rendre hommage, en saluant sa compétence et son intégrité morale. Au grand homme que les Ivoiriens conduisent aujourd’hui dans son repos éternel, Victor Hugo tissait cette louange : «Heureux ceux qui sont morts pour la patrie. Heureux ceux qui sont morts sans pousser une plainte, sans maudire leur sort. Heureux les morts qui se sont bien battus pour laisser à ceux qu’ils ne verront plus, une terre, un jardin, un soupçon d’espérance ». Samba Diarra n’a pas vécu inutile. Le lion n’a jamais accepté sa mise en cage, avec continuellement aux lèvres, le chant de la liberté qui fait entrer dans l’immortalité.

Bakary Nimaga

Publié le jeudi 29 juillet 2010   |  Le Patriote

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